Lecture 2019-52 : « L’école des mini-garous » de Julien Hervieux

Dans la série « Mini-poulpe », je demande le petit sorti mi-août. Destiné aux 7-8 ans, il est l’oeuvre de Julien Hervieux (qui avait déjà signé le génial Orage petit seigneur des ténèbres) et de Juliette Lagrange, côté illustrations. Après les tribulations d’un petit garçon qui ne voulait pas être catalogué dans la catégorie des méchants pour seul motif d’hérédité, c’est dans une école un peu particulière que le lecteur est convié cette fois-ci : une école de « garous » (mais pas de « loups-garous », parce que là encore, il ne faut pas faire de raccourcis trop expéditifs).

La pleine lune réserve bien des surprises ! (résumé de l’éditeur)

Au cœur de la forêt, cachée dans le plus grand des chênes, se tient l’école des Mini-Garous. On y trouve les enfants qui, les soirs de pleine lune, se transforment en terrifiants louveteaux-garous. Mais la vie à l’école est pleine de surprises : Béa, qui a été mordue par un chat, est devenue un chaton-garou. Franz, mordu par un aigle, est un poussin-garou. Quant à Pavel, mordu par un poulpe, je vous laisse deviner… Pas facile, quand on est si mignon, de faire peur à tout le monde. Les trois amis sont la risée de leur classe, et le désespoir de leur maître… heureusement, ils ont un plan !

Un mythe revu au profit d’une leçon d’acceptation

Encore une fois, Julien Hervieux se joue des codes littéraires classiques. Après le personnage d’Orage qui, malgré ses gènes, refusait de faire le mal pour le mal, l’auteur nous propose ici un petit jeu sur l’image traditionnelle du loup-garou. Le principe est tout simple : pourquoi ne se transformerait-on en « garou » que si l’on est mordu par un loup ? Mais pourquoi ce « haro » sur le loup ? Pourquoi une telle injustice ? Julien Hervieux met ici tout le monde d’accord en posant la bonne question : Pourquoi ne se transformerait-on pas en garou même si la morsure ne vient pas d’un loup ? En gros, tu me mords et je deviens toi, qui que tu sois. Et c’est là qu’on prend alors conscience du fait que les morsures sont monnaie courante et que cela peut tourner à la franche rigolade. Enfin, pour le lecteur, par pour le garou car certains ne sont pas forcément gâtés et ce ne sont pas Béa, Franz et Pavel qui vous diront le contraire. Béa est un chaton-garou (bon ! ça reste encore mignon), Franz, lui, est un poussin-garou (bon ! là, ça commence à perdre un peu de son sérieux face aux autre), mais le comble, c’est le pauvre Pavel qui n’est rien de moins qu’un poulpe-garou (bon ! là, on est tellement dans l’absurdité complète que personne n’a jamais osé lui demander comment il s’était débrouillé pour arriver à ce résultat). Au final, notre trio aux transformations peu nobles est devenu la tête de turc de tous ses camarades, victime d’une sorte de délit de faciès. Une telle thématique me semble très importante à aborder avec des enfants, et encore plus avec de jeunes élèves, car le traitement qui en est fait, sans pousser à l’extrême, rappelle la question de l’apparence et du regard d’autrui.

Notre société si éprise de conformisme et de stéréotype, à l’image du médisant Maverique, le garou par excellence, voit se dresser ici face à elle les trois « nullos » qui refusent d’être étiquetés par les bien-pensants. Déterminés à montrer que juger selon les apparences, ce n’est pas reconnaître la valeur d’une personne, ils décident de faire ce que jamais personne n’a jamais osé faire : découvrir l’origine de la transformation de leur terrible professeur, Broclan, le loup gris. L’auteur nous montre alors, au cours de cette aventure, combien chacun a des atouts malgré ses faiblesses : Franz sait exploiter ses compétences de futur « faucon-garou » pour s’orienter en pleine forêt, Béa sait identifier, tel le demi-félin qu’elle est devenue, les êtres empiétant sur son territoire. Quant à Pavel, ben… euh… c’est Pavel, quoi ! et comme dit le narrateur « n’en parlons pas, personne n’a envie de faire pleurer Pavel ». Enfin, non, on doit être honnête et rendre à César ce qui est à César : Pavel a une arme secrète qui va permettre de révéler au grand jour (enfin, à la grande nuit) le secret de Broclan.

Et le secret de Broclan, je vous laisse le découvrir car sa révélation va vous montrer à quel point cette histoire est pleine d’humanité. Julien Hervieux nous offre ici une magnifique leçon d’acceptation en partant de l’illustration même du fameux « L’homme est un loup pour l’homme »  : on devient souvent ce que le regard des autres nous a contraint à devenir, même si telle n’était pas notre volonté. Il est pourtant si simple de regarder ce que  l’autre a dans le cœur plutôt que de se moquer de lui ou de le faire souffrir, et ce sont Béa, Franz, Pavel, les mal-aimés, qui vont l’apprendre au terrible Broclan. J’imagine l’effet que ce roman, si sa lecture est bien accompagnée, peut avoir sur nos jeunes progénitures et j’espère que beaucoup de petits lecteurs en tireront la bonne leçon afin de devenir de meilleurs adultes que nous.

Comme d’habitude chez cet éditeur, les illustrations sont absolument géniales (c’est l’oeuvre cette fois-ci de Juliette Lagrange) et je vous recommande notamment celle de Pavel en train de tenter l’exercice d’attaque donné par Broclan et qui finit, pour le pauvre poulpe, « scotché » dans le décor. C’est à la page 20.

Je ne reviendrai pas sur la qualité littéraire des ouvrages édités chez Poulpe fictions. La langue employée s’avère toujours, quelque soit le public visé, d’une richesse qui ferait pâlir ces éditeurs qui, au contraire, cherchent à brader notre langue sous prétexte de réformes de simplifications abêtissantes en tous genres. Merci pour cet acte de résistance linguistique dans une société où l’on ne cesse de vouloir faire croire aux enfants que tout apprentissage est simple et facile. Ben non, il faut aussi apprendre à donner un peu de soi pour devenir quelqu’un de respectable et de respecté.

N’hésitez pas à vous plonger dans ce petit roman qui plaira aux petits comme aux grands et qui redonne un peu d’espoir à notre humanité trop souvent défaillante.

Julien Hervieux, L’école des mini-garous, Poulpe fictions, 2019

(Illustrations : Juliette Lagrange)

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