Lecture 2018-49 : « Une douce lueur de malveillance » de Dan Chaon

Deuxième roman de la rentrée littéraire pour moi, ce nouvel opus de Dan Chaon est encensé depuis des semaines par la critique. Je me méfie toujours de ces hommages quasi unanimes car cela engendre souvent chez moi des attentes exceptionnelles qui se terminent en énormes déceptions. Mais qui ne tente rien n’a rien. Je l’ai donc lu et j’ai vu….

Un roman du doute et de la suspicion

Dustin Tillman, psychologue à Cleveland, vit une vie somme toute parfaitement banale entre son épouse et ses deux fils jusqu’au jour où sa cousine, Kate, l’appelle pour lui annoncer que son frère adoptif, Rusty, vient d’être libéré de prison. Compte-tenu des progrès de la science et des recherches sur l’ADN, Rusty a été innocenté du quadruple meurtre de ses parents, d’un oncle et d’une tante. Le problème, c’est que Dustin avait témoigné, il y a trente ans de cela, contre son frère. Cette annonce le trouble d’autant plus qu’elle tombe au moment où son épouse apprend qu’elle a un cancer, ce qui laisse Dustin totalement perdu. Il va devoir gérer seul cette résurgence de son passé tragique. A cela s’ajoutent les séances qu’il a régulièrement avec Aqil, un patient un peu étrange, ancien flic totalement obsédé par une série de crimes d’étudiants qu’il attribue, contrairement à ses anciens collègues, à un tueur en série. Il pense pouvoir identifier celui-ci si Dustin est prêt à lui apporter son aide. En proie à toutes ces difficultés, Dustin se retrouve ainsi à gérer à la fois un présent compliqué et un passé qu’il aurait bien voulu oublier et dont les contours vont finalement s’avérer pas aussi nets que cela.

Dan Chaon ou l’art de bousculer son lecteur

« Perturbant », voilà le terme qui m’est venu à l’esprit à la fin de ma lecture et qui me semble bien résumer ce nouvel opus de Dan Chaon car je crois n’avoir jamais rien lu de comparable.

« Perturbant » donc pour plusieurs raisons :

  • l’organisation des chapitres : passer du passé au présent d’un chapitre à l’autre est somme toute assez classique mais là où vient l’originalité, c’est la mise en page. Des phrases qui s’arrêtent sans raison, des espaces apparaissant soudain comme mimant un temps suspendu dans la conversation ou dans l’esprit du personnage de Dustin. Sauf que, même si cela fait sourire ses enfants, on comprend rapidement que ces absences cachent quelque chose de bien plus inquiétant. Dan Chaon, sur ce point, réussit en tout cas une prouesse en mettant totalement son style au service de la psychologie de son personnage.
  • la présentation de certains chapitres sous forme de tableaux : alors là, je vais avoir dû mal à expliquer la raison de ces chapitres car je ne suis pas certain d’avoir bien saisi la raison de leur existence. Je pense qu’ils servent à présenter un même épisode selon plusieurs points de vue soulignant là l’idée centrale du roman comme quoi la mémoire est sélective et que la réalité de chacun n’est pas forcément celle des autres. Mais, là, gloups…. je ne m’avancerai pas trop car je risque de raconter des bêtises. Une chose est sûre : je pense que la présence de ces tableaux nécessite, quoi qu’il arrive, de relire l’ouvrage dont les subtilités ne peuvent être saisies, selon moi, dès la première lecture.
  • la psychologie des personnages : c’est sans doute l’élément le plus surprenant de ce roman voire le plus angoissant. En effet, comme l’indique l’auteur, « nous n’arrêtons pas de nous raconter des histoires sur nous-même. Mais nous ne pouvons maîtriser ces histoires. Les événements de notre vie ont une signification parce que nous choisissons de leur en donner une. » Et c’est en cela que les personnages de Dan Chaon en deviennent totalement insaisissables. Trente ans après ce quadruple meurtre, on a l’impression que les personnages présents ce soir-là ne savent même plus ce qui s’est exactement passé. Les versions changent, évoluent, se contredisent alors qu’elles étaient toutes unanimes à l’époque contre Rusty qui avait, effectivement, le passé et la personnalité idéale d’un futur serial-killer. Le titre du roman à lui seul exprime, d’ailleurs, cette idée avec son oxymore. C’est cela qui est magnifiquement dérangeant dans ce roman : le lecteur n’a le droit à aucune certitude et doit se soumettre à des personnages dont la fiabilité s’estompe au fil des pages. Le talent de Chaon pousse le vice jusqu’à laisser le lecteur dans l’expectative jusqu’au terme du roman. Obtient-on toutes les réponses aux questions soulevées au début de l’oeuvre ? Je n’en suis pas si sûr mais n’est-ce pas parce que l’auteur attend aussi de son lecteur qu’il se fasse sa propre histoire, qu’il se crée sa propre vérité ? Dan Chaon ne prend pas son lecteur par la main, il le met en position de juré et lui livre les éléments du dossier. Après c’est à chacun de se faire son propre avis sur ses personnages et croyez-moi, l’affaire n’est pas si aisée.

On notera également que l’auteur ne coupe pas au thème cher à la littérature américaine de la justice défaillante. L’auteur égratigne, en effet, la société américaine à travers cette justice parfois un peu trop hâtive qui condamne aussi vite que l’éclair en se fiant aux apparences. Rusty était un cas social, il n’a donc pas fallu longtemps aux bien-pensants pour le charger. Ont-ils eu raison ? Seul le lecteur pourra en juger.

Mon chouchou à moi

Le terme de « chouchou » n’est pas vraiment adapté pour un tel roman car l’ambiance y est à ce point pesante voire glaçante qu’on n’y fait pas dans la délicatesse. Mais le personnage d’Aaron reste quand même un personnage attachant. Il se démène pour « survivre » face à un père incapable d’assumer pleinement sa paternité tant il est submergé par ses propres problèmes (la perte de sa femme, ses souvenirs de jeunesse défaillants, sa « fascination » inconsciente pour Aqil) et à un frère qui a pris la poudre d’escampette dès qu’il a pu partir étudier à l’Université. On le suit à travers ses excès et ses propres démons en espérant qu’il parviendra à les surmonter mais le destin est le destin.

Au final, un roman étonnant par son originalité et qui vous remuera les tripes et les méninges tant il est déstabilisant. Pas étonnant qu’il agite à ce point la scène littéraire pour cette nouvelle rentrée.

Merci encore à Léa du Picabo River Book Club et aux Editions Albin Michel grâce à qui j’ai pu découvrir ce roman surprenant en avant-première.

Dan Chaon,  Un douce lueur de malveillance, Editions Albin Michel, 2018.

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3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Mokamilla dit :

    Voilà qui est plus que convaincant !

    Aimé par 1 personne

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