Lecture 2018-6 : « Les Larmes noires sur la terre » de Sandrine Collette

N’ayant pas été retenu pour faire partie du jury du Prix des Lecteurs du Livre de Poche Catégorie Thriller/Polar, j’ai donc décidé de constituer mon propre jury. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Me voilà donc lancé dans la lecture des ouvrages en compétition avec, pour commencer, le roman de Sandrine Collette.

J’avais adoré Des nœuds d’acier mais avait été beaucoup moins séduit par la fin de Six fourmis blanches. Ce roman était donc ma troisième expérience avec cette auteur.

Du paradis à l’Enfer

L’histoire commence comme un roman somme toute très classique : Moe, une jeune tahitienne, tombe amoureuse d’un expatrié, Rodolphe, qui la ramène dans ses bagages en France. Ce qu’elle va découvrir est très loin de la belle idylle espérée et les portes de l’Enfer vont s’ouvrir devant elle. Disparu le séduisant Rodolphe qui se transforme en une sorte de pervers narcissique qui la pousse à chercher un amour plus « sincère » dans les bals aux alentours. Elle n’y gagnera qu’une chose : un fils qui se révélera une source d’espoir pour Moe quand il constituera une tache ou un poids inutile aux yeux des autres… Seule solution pour elle : s’enfuir, retrouver sa liberté et repartir sur son île.

Mais c’est alors que l’on bascule dans un monde futuriste. Sans un sou, Moe découvre la solution trouvée par notre société et ses services sociaux afin de régler le sort des paumés et des miséreux. Il s’agit tout simplement de les exploiter et de les parquer dans un cimetière de voitures appelé logiquement « La Casse ». Cependant, y entrer est facile, en sortir est une autre paire de manches.

Un univers à la Mad Max ou les Misérables des temps modernes

L’univers dépeint par Sandrine Collette au sein de cette « Casse » n’est pas sans rappeler l’univers de la saga de George Miller. Violence, sexe et loi du plus fort sont les adages de ce monde quasi-apocalyptique et pourtant si proche de notre époque. Il ne s’agit plus ici de vivre mais de survivre.

On découvre alors la solidarité féminine à travers l’amitié qui lie Moe et ses compagnes d’infortune, toutes blessées par la vie : Poule la victime d’attentat, Marie-Thé l’esclave moderne, Ada la réfugiée pleine de sagesse, Jaja la toxico et Nini qui se perd dans les vols et le sexe afin d’oublier un passé dont on ne connaîtra finalement rien.

Sans tomber dans les affres d’un féminisme de base, Sandrine Collette met en scène des femmes fortes malgré le milieu hostile où elles se retrouvent plongées, des femmes qui réussissent à évincer les hommes dont les quelques représentants constituent la lie de l’humanité. On les suit dans leurs aventures, on espère pour elles à en avoir mal aux tripes parfois. On les écoute parler de leurs vies, de leurs espoirs mais aussi de leurs désillusions sans jamais tomber dans l’apitoiement ou la désespérance car, inconsciemment, la plupart d’entre elles ont conscience qu’il ne s’agit que d’une étape parmi d’autres de leurs vies.

La plume de Sandrine Colette est belle, à la fois forte et délicate. D’une efficacité indéniable, certaines de ses phrases sont des uppercuts qui frappent le lecteur au cœur et à l’âme. On ne sort pas indemne de ce roman !

Ma chouchoute

C’est le personnage d’Ada qui m’a séduit ici. Réfugiée afghane, elle est celle qui semble la plus introvertie et, pourtant, elle est surtout celle sans qui la « Casse » perdrait le peu d’humanité qu’elle renferme. Tantôt affectueuse, tantôt mystérieuse, on ne perçoit son véritable visage qu’à la toute fin du roman. De simple « mère d’adoption », elle se transformera en véritable figure de rédemptrice.

Une erreur de casting ?

Il va tout de même falloir m’expliquer en quoi ce roman constitue un polar ou un thriller et pour quelle raison il a été retenu dans cette sélection. Il aurait été plus judicieux, selon moi, de le retenir dans la catégorie « Littérature » où il n’aurait pas fait tache. Je qualifierais plutôt cet ouvrage de roman d’anticipation même si certains événements historiques évoqués sont encore très proches de notre présent. La logique voudrait donc que je ne retienne pas ce roman dans ma délibération car on est là un peu hors-sujet et ce n’est en aucun cas du fait de l’auteur.

En somme, un roman à découvrir non pas pour son ambiance inexistante de polar ou thriller mais bel et bien pour sa qualité littéraire.

Sandrine Collette, Les Larmes noires sur la terre, Denoël, 2017 (Le Livre de poche, 2018)

 

 

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