Lecture 2018-61 : « La Rose et le Bourreau » de Patrick Pesnot

Outre le titre de ce roman, c’est surtout la couverture qui m’a attiré. Autant vous dire que je n’ai pas hésité quand les Editions Archipel ont proposé de nous l’adresser en service Presse pour le mois d’octobre. Et je vous confirme la couverture est encore plus belle en réel. Je me suis donc lancé dans la lecture de ce roman historique et j’en suis sorti agréablement surpris.

Une héroïne en quête de ce qu’elle est vraiment

Nous sommes au milieu du XVIIIe siècle. Son père, capitaine de vaisseau marchand, n’étant que rarement à la maison et l’autorité de sa marâtre lui devenant insupportable, Julienne, encore adolescente, décide de fuir Cancale, pour se rendre à Paris. Travestie en garçon, elle devient alors Henri et réalise rapidement qu’il va lui falloir survivre dans un monde où les hommes font leur loi et où la débrouillardise est le maître-mot. Après avoir croisé la route d’un aubergiste libidineux et d’un prêtre à la beauté troublante, Julienne s’engage dans un régiment et participe à la guerre de succession d’Autriche. Se faisant repérer par son courage et son habileté, elle y découvre aussi l’amour pour un beau capitaine. Mais son destin ne lui permettra pas de profiter de ce moment de plénitude et son errance reprendra lui offrant la possibilité de rencontres avec des personnages tantôt séduisants tantôt étranges et d’épouser, après un bref apprentissage, la fonction de bourreau qui la fera réfléchir non seulement sur la sens de la vie mais aussi sur ses propres convictions et certitudes.

Un paradoxe : donner la mort pour apprécier vraiment ce qu’est la vie

La première chose à dire concernant ce roman et que personne ne pourra nier, c’est qu’il est magnifiquement écrit. Patrick Pesnot, ancien journaliste de France Inter, possède un style indéniable et démontre avec brio sa connaissance historique de notre belle langue française. En effet, il parsème, tout au long de son roman, des mots typiques de la langue du XVIIIe qui donnent à son récit une réelle authenticité. Difficile d’en choisir certains plus que d’autres mais il suffit d’ouvrir l’oeuvre à n’importe quelle page pour y découvrir des termes tous plus « exotiques » les uns que les autres pour un lecteur du XXIe siècle…. Bon… puisque vous insistez, je citerai, par exemple, une « béjaune » (pour désigner une jeune fille un peu sotte) ou l’adjectif « accorte » pour qualifier, notamment, les jeunes filles agréables au regard. Et je ne vous parlerai pas du vocabulaire touchant à la sexualité telles les parties « vergogneuses » de l’homme et de la femme. En somme, vous aurez une connaissance nettement plus poussée de notre langue en refermant ce roman.

L’auteur nous offre aussi une forme de roman d’apprentissage quasi picaresque où le parcours de Julienne illustre le destin d’une femme dans un monde d’hommes à cette époque. Si elle doit à plusieurs reprises protéger sa vertu face aux regards concupiscents de certains de ses congénères masculins, elle fait également l’apprentissage de la sensualité, expérimentant l’amour saphique sans tabou tandis que les hommes dont elle tombe amoureuse lui échappe inévitablement. Aucune obscénité dans ce roman si ce n’est le portrait d’une jeune fille qui se cherche et essaye de découvrir qui elle est et où la vie veut l’amener. Un autre apprentissage essentiel dans ce récit est celui de la mort : après l’avoir côtoyée de près sur les champs de bataille, elle finit par en faire son métier lorsqu’elle devient l’aide du bourreau de Marseille puis bourreau (ou plutôt « bourrelle » si elle avait pu exercer sous sa véritable identité) de Lyon. Ces deux expériences s’avèrent perturbantes pour elle car, alors qu’elle a perdu l’un de ses compagnons, condamné pour pendaison, elle réalise rapidement qu’au fil des jours, la souffrance d’autrui ne l’émeut plus autant qu’elle le pensait. Se réfugiant derrière l’idée qu’elle n’est que l’exécutrice d’une décision de justice comme le lui rappelait fréquemment son mentor, elle se retrouve pourtant à plusieurs reprises face à un dilemme : la compassion n’est-elle plus pour elle qu’un lointain souvenir ? Infliger de telles souffrances, même dans les règles de l’art, est-il toujours légitime ? Julienne réalisera qu’en fait, c’est en exerçant cette fonction de bourreau qu’elle finira par retrouver son humanité et fera la paix avec elle-même et avec les siens, notamment son père. Cette apprentissage de la mort n’est finalement pour elle qu’un moyen détourné de retrouver le droit chemin. Patrick Pesnot nous offre, ici, une belle leçon de vie.

Ma tête à claques à moi

S’il y a un personnage que j’ai eu envie de claquer dans ce roman, c’est sans conteste le personnage d’Appoline. Mon Dieu ! Qu’elle est exaspérante ! Certes, on peut mettre en avant pour sa défense qu’avoir été élevée par une famille de jansénistes complètement azimutés n’était pas idéal. Mais vraiment, ses attitudes d’enfant gâtée et égoïste qui boude à tout bout de champ, à un moment, je n’en pouvais plus. J’aurais pu lui pardonner mais le personnage se montre exécrable jusqu’à la fin du roman et on ne peut que lui souhaiter un destin aussi détestable que sa jalousie dévorante.

Pour terminer, je dirais que j’ai découvert avec ce roman un auteur talentueux que je risque de retrouver sur mon chemin très rapidement tant sa plume et ses qualités de narrateur m’ont séduit. Je recommande en tout cas cet ouvrage à tous les amateurs de bons romans historiques.

Patrick Pesnot, La Rose et le Bourreau, Editions de l’Archipel, 2018.