Lecture 2018-44 : « Le bon soldat » de Ford Madox Ford

Pour cette nouvelle lecture, un roman britannique de 1915 considéré, comme l’indique le bandeau en couverture, comme « un des meilleurs romans du XXe siècle » par Graham Greene. Je remercie les Editions L’Archipel qui m’ont fait découvrir un auteur dont j’ignorais jusqu’alors l’existence.

Un quatuor « démasqué » par l’un de ses membres

Deux couples (les Dowell et les Ashburnham) avaient l’habitude de se retrouver aux bains de Nauheim en Allemagne et de partager la plus grande partie de leur temps ensemble au point de ne faire plus qu’un. Et puis le temps passe, la mort arrive et les secrets apparaissent au grand jour. C’est, en effet, ce que finit par découvrir John Dowell, le plus « normal » ou « naïf » des quatre. A travers son récit, il met au jour une amitié qu’il croyait sincère et indéfectible et qui, finalement, ne reposait que sur des mensonges et de la manipulation. Mais qui est le plus à blâmer dans l’histoire ? Car les choses, au fur et à mesure de son témoignage, se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît et le coupable idéal n’est pas forcément celui que l’on pense.

Un roman des apparences

Le roman se présente sous la forme d’un récit mené par John Dowell qui oscille constamment entre passé et présent. L’intérêt de ce type de narration, c’est la mise en avant constante du point de vue subjectif du narrateur qui évolue régulièrement au vu des révélations qu’il fait à son lecteur et montre ainsi la complexité des sentiments humains. Trahi par son épouse et son « meilleur » ami, John Dowell commence, comme tout un chacun, par juger (ici, Edward) avant de se lancer dans une tentative de compréhension : pourquoi n’a-t-il rien vu ? Pourquoi lui et pas un autre ? Pourquoi Edward a-t-il trahi cette épouse remarquable et parfaite qu’est Leonora ? Edward est-il le moins irréprochable de tous ? Et c’est à cette introspection que l’on assiste tout au long du roman et qui, encore une fois, nous prouve que les apparences sont souvent trompeuses. En cela, John Dowell est un être remarquable car, avant de condamner, il accepte de rechercher cette vérité dont il sait, quoi qu’il arrive, qu’elle le fera souffrir.

Malgré les apparences, Ashburnham est un faux Don Juan, terrifié par les femmes. Il séduit, certes, mais il est trop sentimental pour ne pas souffrir et finir victime lui-même de son « addiction ». C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris Florence Dowell et Leonora, son épouse. Florence se sert d’Edward comme d’un échappatoire à son histoire d’amour avec John éventée avant même qu’elle ne débute. Par « respect » pour son époux, elle joue la comédie, feint la maladie pour vivre une passion qui lui sera finalement fatale. L’épouse parfaite ne supporte pas (même pour les yeux du bel Edward) l’idée de voir le vernis de son apparente honnêteté se craqueler aux yeux d’un époux qui lui a tout sacrifié. Quant à Leonora, en bonne catholique, elle trouve dans les infidélités d’Edward son salut éternel. Face au mensonge, elle se pense dotée d’une mission : celle de ramener cet homme à elle en rachetant ses péchés. Leonora, faute d’être respectée en tant qu’épouse, veut, au moins, acquérir le statut de sainte aux yeux du monde… et ce quels que soient les moyens utilisés. On peut, en effet, lui reconnaître un atout : elle est géniale pour fomenter des complots afin d’atteindre son objectif. Là, il n’est plus question de féminisme outragé, ses consœurs deviennent à ses yeux de simples moyens pour parvenir à ses fins. Au fur et à mesure des pages, ce n’est plus la femme trompée qui agit mais son ego au point que même ses directeurs de conscience n’arrivent plus à la contrôler voire « condamnent » ses intentions. Elle ne cherche plus à être aimée d’Edward, elle veut simplement qu’il lui appartienne corps et âme, telle une marionnette ou « un bon soldat » dont elle est la seule à décider du destin. Et elle y parviendra, abandonnant sans scrupules derrière elle quelques « âmes » sacrifiées.

Au final, un très beau roman introspectif, sans doute pas assez connu en France.

Ford Madox Ford, Le bon soldat, Editions Archipoche, 2018

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