Lecture 2018-12 : « La Mort nomade » de Ian Manook

Eh bien voilà ! Le moment tant attendu mais aussi tant redouté de se plonger dans le dernier opus de la trilogie consacrée à Yeruldelgger de Ian Manook était arrivé. Retenu dans la sélection du Prix des lecteurs du livre de poche – Polar/Thriller, je n’allais pas manquer cela… et j’ai bien fait.

Le retour du guerrier… malgré lui

Nous voilà donc à nouveau plongés au fin fond de la steppe mongole et le terme « plongés » est ici bien adapté puisque Yeruldelgger, fatigué de sa vie de flic, y a installé ses quartiers dans l’espoir d’y mener une retraite spirituelle tranquille et paisible. C’était sans compter sur sa renommée passée de flic sans foi ni loi (ou presque). Il se retrouve, en effet, englué malgré lui dans une affaire de corruption internationale liée à l’exploitation minière de cette steppe qu’il chérit tant. Bien qu’il revendique désespérément son droit à la tranquillité, personne, ni les victimes ni les escrocs, ne semble décidé à lui laisser le moindre moment de répit pour cette ultime enquête qui se révélera pour lui être une apothéose (au sens premier du terme).

Yeruldgelgger (que j’aime d’amour depuis le premier opus mais chut!!!!!), conserve sa détermination à « sauver » ce qu’il reste encore de l’identité de son très cher pays mais on le sent proche de la résignation tant il semble parfois bien seul prêcher dans le désert. Il se révèle alors d’autant plus humain en refusant de tuer à nouveau ou en succombant aux plaisirs de la chair dans ce qu’il appelle ses « amours nomades », soulignant ainsi inconsciemment le fait que son cœur n’appartient qu’à une seule femme, celle qu’il a laissée à Oulan Bator.

Des personnages toujours aussi marquants

Ian Manook excelle à nouveau dans l’art du récit et lance son lecteur dans une enquête palpitante avec des personnages tous aussi charismatiques les uns que les autres. On retrouve d’anciennes connaissances telles que Solongo, la légiste et amour précieux et unique de Yeruldelgger malgré les apparences, Zarza, notre flic français préféré d’une efficacité toujours aussi redoutable, et le personnage de Djebe qui prend, ici, une toute autre dimension. Mais il y a surtout, dans cette affaire, la terrible et terrifiante nymphomane qu’est Mme Sue, une « vieille peau » qui fait régner sa loi à coups d’exécutions sommaires ou de coïts quasi bestiaux et qui nous confirme que politique et sexe sont clairement liés de nos jours.

Un roman à l’échelle planétaire

On comprend ici bien en quoi l’attachement de Yeruldegger à sa patrie est importante car on découvre à quel point la Mongolie est source de convoitise et donc menacée. On a, traditionnellement, en tête l’image de ces nomades souriants et hospitaliers qui vivent de peu sans jamais se plaindre. L’enquête nous dévoile, pourtant, la corruption des milieux politiques et l’appétit des multinationales étrangères prêtes à tout pour s’emparer des ressources minières de ce pays au détriment des populations locales. La Mongolie est pillée sans vergogne et pas seulement par ses voisins proches mais aussi par les grandes puissances que sont le Canada, l’Australie et même la France qui n’envisage pas de laisser sa part du gâteau bien que n’étant qu’outsider dans l’histoire.

Mais la Nature veille et la Nature ne se laissera pas faire, tout est une question de temps comme le prouve le désert « vivant » et cher au cœur de Yeruldelgger, qui ne cesse d’avancer (et ce n’est pas France Gall qui le dit!) et dont les hommes, même les meilleurs, finiront, un jour, par devenir les victimes.

Mes chouchous

Sans surprise, c’est le « binôme » Yeruldelgger et Zarza, sorte de frères de cœur faute d’être frères de sang. Ils sont attachants et fascinants chacun à leur manière. On apprécie également le traitement parfois humoristique qui est fait du premier. Pauvre Yeruldelgger qui tente vainement d’échapper à cette nouvelle enquête mais qui se retrouve constamment rattrapé par son destin et « malmené » gentiment par les femmes qu’on ne cesse de mettre sur son chemin !

Au final, « voilà ! C’est fini », aurait pu chanter Jean-Louis Aubert au terme de cette aventure. Une fois tournée la dernière page de cette trilogie, la nostalgie m’a gagné et un peu la tristesse aussi tant le personnage de Yeruldelgger m’avait séduit. Mais je me rassure en me disant qu’il fera éternellement partie désormais de mon Panthéon des flics les plus attachants que j’ai connus dans ma vie de lecteur. Et puis, je me rassure aussi en me disant qu’il reste Zarza… hein, Zarza il est toujours là donc, je dis cela, je dis rien (message subliminal à Ian Manook s’il me lit. On peut toujours rêver !)…. Bon, où sont les Kleenex ?

Ian Manook, La Mort nomade, Editions Albin Michel, 2016 (Le Livre de poche, 2018)

 

Après 5 lectures, voici mon classement pour le Prix de Lecteurs du Livre de poche – Polar/Thriller 2018 :

1- La Mort nomade de Ian Manook

2- Derrière les portes de B.A. Paris

3- Sans même un adieu de Robert Goddard

4- Toxique de Niko Tackian

5- Les Larmes noires sur la terre de Sandrine Collette

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. A propos de La Mort nomade: « Décalage bizarre… Au moment où je commence à écrire ces lignes, à côté de moi, en sourdine, la radio déverse une logorrhée d’avis tranchés et définitifs d’experts sur l’utilité de la circulation alternée dans les grandes villes françaises. Pendant ce temps là, à l’autre bout du monde, des compagnies minières ayant pignon sur la place des marchés creusent des mines à ciel ouvert de plus de 4000 mètres de profondeur, éventrent sans vergogne la terre, défigurent la nature, compromettent irrémédiablement les grands équilibres climatiques. Et pour parachever leurs méfaits, elle projettent la création de lacs, voire de mers artificiels. De remodeler la terre selon la fluctuation de leurs intérêts en bourse. Vrai ? Faux ? Fantasmes de romancier ? Plus rien ne m’étonne aujourd’hui…

    La voracité meurtrière des grandes multinationales, la complicité de gouvernements corrompus jusqu’à la moelle, le laisser faire des grandes puissances qui siègent avec droit de veto au conseil de sécurité des Nations Unies et se livrent à de mesquines projections de géopolitique où leurs intérêts sont bien intégrés: là, il n’y a pas d’étonnement de ma part. Mais des certitudes. J’ai parfois la vue basse mais je ne suis pas aveugle.

    Voilà le cadre planté pour ce troisième opus de la saga Yeruldelgger. Le décor, lui n’a pas changé: une ville de démences et de déviances – Oulan-Bator, capitale d’aliénés – les steppes et déserts infinis hantés par des nomades à la recherche des traces de leurs traditions perdues ou d‘or. Ou de n’importe quoi qui vaille la peine d’être vendu. Un pays tragique comme l’antique qui livre ses filles à l’assouvissement des instincts.

    Il n’y a guère que l’humour pour sauver le lecteur de pareilles horreurs. Encore faut-il réussir à manier avec adresse et maîtrise ce dangereux composant, obtenir le subtil dosage entre sauvagerie primaire et rire salvateur. Ian Manook sait y faire: du décalé au tragiquement enfantin, il contrôle avec aisance toute la palette pour colorer son récit et maintenir les démons à distance sans jamais les occulter.

    Après Yeruldelgger (2014) et Les Temps sauvages (2015), Ian Manook réussit la passe de trois ».

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